lundi 2 mars 2009

Dimanche 15 février 2009 - Annick Wilmotte






Le dimanche, le temps est superbe et nous attendons le premier vol des invités vers 9H. Je revois avec plaisir Hugo Decleir, un glaciologiste de la VUB, qui a beaucoup travaillé pour que la station soit concrétisée, et Alexandre de Lichtervelde, qui est responsable de l'aspect 'protection environnementale' au Ministère de l'Environnement. Tous les trois, nous avons assisté en juin 2008 à la réunion annuelle du Traité Antarctique à Kiev en Ukraine. Pour moi, c'était la première fois que je faisais partie de la délégation belge et j'ai surtout été présente à la réunion du Comité de Protection Environnementale (CEP). Les discussions sur la bioprospection me concernaient aussi mais comme les deux réunions, celle du Traité et celle du CEP avaient lieu en parallèle, impossible de se partager en deux. La bioprospection concerne l'exploitation des ressources biologiques et génétiques des organismes antarctiques, avec des questions comme 'Est-elle compatible avec l'esprit du Traité?', 'Y a t'il un impact environnemental?', 'S'il y a des bénéfices, faut-il prévoir des processus de partage comme prévus dans la Convention pour la Diversité Biologique (CBD)?'. Ceci dit, le mot de 'bioprospection' lui-même est sujet à différentes interprétations et il y a un certain flou par rapport aux activités de recherche fondamentale, qui produisent parfois aussi des résultats utilisables par l'industrie.
Pendant qu'un brunch est offert aux invités, Cyrille dit vouloir encore chercher des collemboles et il est d'accord d'aller sur l'arête rocheuse, dans la parcelle qui pourrait servir de référence pour le futur. Je suis contente car nous n'avions pas encore de données sur les invertébrés à cet endroit. Je cherche les petites bêtes avec lui, mais je ne suis pas douée pour les repérer. Cyrille trouve des acariens en quantité, mais pas de collemboles. Il pense que c'est trop sec.



Dans la tente mess, les cuisiniers et leurs aidants se préparent au souper, qui aura lieu à la Station et montent les mets avec les skidoos.


Ensuite, des groupes d'invités font une visite guidée des installations extérieures à la Station, les abris pour les appareils de monitoring, la station météo, ... Je rejoins le groupe guidé par Alain près de la Station qui explique la construction et combien l'isolation est importante.


Ensuite, nous arrivons sur la terrasse où aura lieu l'inauguration officielle à 13H. La ministre Sabine Laruelle et le ministre Pieter De Crem font des discours enthousiastes et dévoilent chacun une plaque commémorative.

Benoît est sur le toit de la Station pour filmer.

Une première réception a lieu dehors sur la terrasse. Nous rencontrons le Prof. Shiraishi qui dirige l'Institut japonais de recherches polaires. C'est lui qui a élaboré les cartes géologiques de la région que nous utilisons tous les jours! J'ai dû mettre l'une ou l'autre photo de ces cartes sur le blog. C'est intéressant de rencontrer la personne qui a réalisé un travail dont nous avons bien profité! Il explique qu'il est venu 4 ans de suite dans la région pour réaliser cette cartographie. Une année, ils ont eu l'appui d'hélicoptères. Nous spéculons aussi sur les raisons pour lesquelles les blocs de granit semblent plus favorables à l'établissement d'organismes que d'autres roches. D'après le Prof. Shiraishi, le fait que l'érosion se fait de manière particulière, en découpant des blocs presque rectangulaires, semble important. Il informe aussi Alexandre Mangold qu'ils ont des données météorologiques continues pour plusieurs années pour la station d'Asuka, qui est relativement proche. Il lui demande s'il serait possible de faire une comparaison avec Utsteinen? Tout au long du séjour, il se montre intéressé par les activités scientifiques et discute avec les uns et les autres. Ensuite, les invités sont enfin autorisés à découvir l'intérieur de la Station, la cerise sur le gâteau! Ils sont divisés en plusieurs groupes qui font une visite. L'une des haltes a lieu dans le futur bureau où nous les attendons de pied ferme pour 'Sciences expo@Utsteinen'.
La première série d'exposés se passe bien, le public est quand même super, super fatigué après deux nuits en vol, sans presque dormir. Mais la deuxième série est interrompue car le courant défaille. Le circuit électrique est celui du chantier et n'a donc rien à voir avec celui de la Station proprement dite. L'honneur est sauf! Après cela, il est proposé aux nouveaux arrivants de prendre un peu de repos ou d'aller faire une promenade. A ce moment, Sven me rappelle que je leur avais proposé de reprendre la conférence grand public que j'avais donné le dimanche à Tour et Taxis, lors du prémontage de la Station. Pourquoi ne pas le faire maintenant, vu que nous avons tous un peu de temps libre? .


Nous nous retrouvons donc dans le container scientifique avec Sven, Raphael, Dries et Karolien. J'utilise l'écran de mon ordinateur pour montrer les dias. Après, a lieu une vraie bonne discussion avec des questions très pertinentes et des échanges qui font réfléchir chacun. Je trouve vraiment très agréable ces dialogues avec des personnes intéressées, c'est même carrément gai! Sven me remercie, mais en fait, le merci est réciproque. Il y a une dizaine de jours, il était venu voir les cyanobactéries au microscope avec d'autres, et nous avions parlé des pigments photosynthétiques. En plus de la chlorophylle, qui est capable de capter l'énergie d'une partie du spectre de la lumière visible, les cyanobactéries se sont dotées de pigments supplémentaires qui peuvent utiliser justement les photons qui ne sont pas pris par la chlorophylle. Sven fait le parallèle avec les panneaux solaires où on ajoute des récepteurs. Plus tard, je lui dit que j'ai fait le lien entre sa réflexion et les nouvelles activités de Gauthier Chapelle, qui travaillait pour l'IPF mais est maintenant dans une autre association (biomimicry, ou un nom qui ressemble à cela) dans l'esprit d'imiter les solutions que la Nature a trouvé depuis bien longtemps. Je dois dire que je suis admirative du travail des membres de Laborelec pour la Station, tout comme celui de Jean et Wim de Schneider Electric qui montrent la même motivation et travaille vraiment beaucoup. Dominique nous avait expliqué qu'elle et ses collègues avaient été sélectionnés sur leur motivation et après un séjour en mai à Chamonix. Ils sont sept ingénieurs de Laborelec à la station maintenant, car Conrad est venu les rejoindre pour une semaine.
Entretemps, un buffet dinatoire commence à la Station. Je discute avec un pilote, d'origine hollandaise mais émigré au Canada. Les avions qui ont amené les VIP sont restés à Utsteinen et les pilotes sont évidemment invités à la réception. En fait, les Bassler sont loués à ALCI mais la Société qui s'en occupe est canadienne. Il a amené son appareil du Canada en novembre et le ramèra en 6 jours début mars, quand la saison Antarctique sera terminée. En été, il vole alors dans l'Arctique! Quelle vie! Il trouve cela passionnant, car il a l'occasion de rencontrer bien des personnes de pays différents et souvent des scientifiques avec qui il a des conversations intéressantes. Il me cite Dale Andersen, qui plonge dans les lacs polaires recouverts de glace. C'est une belle coincidence car justement j'intègre des photos prises par Dale dans le lac Hoare dans mes présentations sur les cyanobactéries antarctiques. Dans ce lac constamment couvert de glace, le fond est couvert d'un tapis microbien rougeâtre assez épais et remarquable.
Jan me dit aussi qu'il a fait récemment 6 voyages pour un projet de recherche américain qui concerne le lac 'Deep lake' près de Novo. Le projet est financé par un mécène de Chicago et la NASA est impliquée. J'en ai entendu parler par Zorigto Namsaraev, un post-doc russe, actuellement dans mon laboratoire. D'après Jan, ce projet a apporté plein de matériel flambant neuf et il se demande s'il n'y a pas de duplications des efforts en recherche antarctique. Je lui explique que les budgets aux USA sont sans commune mesure avec ceux des projets belges, et que grâce à cela, les chercheurs américains n'ont pas besoin de chercher de collaborations et se suffisent à eux-mêmes. Par contre, les belges ont plutôt une tradition de collaboration, par besoin de complémentarité, me semble t'il. Pour l'Année Polaire Internationale, j'avais contacté le Prof. Berry Lyons qui dirige le programme du Long Term Ecological Research Network dans les Vallées Sêches de Mc Murdo. Il m'avait répondu qu'ils avaient déjà leurs spécialistes à pied d'oeuvre dans le domaine de l'écologie microbienne et l'étude des lacs (limnologie). Je suis plutôt jalouse de ces sites LTER, où les recherches sont faites à long terme, de façon multi-disciplinaire et qui sont financés par le National Science Fondation (NSF) des USA. Peut-être réussirons-nous à mettre quelquechose de ce genre en route grâce au projet européen CAREX, sur les extrémophile? Jan me recommande également la lecture de 'The shelfish gene' de Richard Dawkins.
Alexandre me dit que le workshop sur la bioprospection, qui a eu lieu début février, s'est très bien passé et que des 'papers' vont être introduits par différents pays sur ce sujet. En fait, les 'papers' à la Réunion du Traité Antarctique sont, soit des textes d'information simplement cités mais pas discutés, soit des 'Working papers' avec des propositions concrètes qui sont discutés par tous. La banque de données, soutenue par la Belgique et réalisée par l'UNU/UNEP a aussi reçu bien des appréciations positives. Elle a pour but de répertorier les cas où l'exploitation des ressources biologiques et génétiques d'organismes antarctiques a donné lieu à des produits commerciaux. Elle est très utile pour se rendre compte de l'importance de ce type d'activités et il faudrait pouvoir la rendre permanente, et que les membres du Traité fournissent eux-mêmes les informations.
Un petit film est projeté avec un message du Prince Philippe et sa fille, la Princesse Elisabeth qui a donné son nom à la Station. Il exprime sa fierté de voir la Belgique construire une base scientifique sur des concepts nouveaux et durables. La princesse a fait un collage concernant la base, qui est maintenant suspendu au mur.


Le repas est vraiment excellent, fruit des efforts de David et Grégory, et de l'équipe qui les a aidé à préparer. Grâce aux pilotes qui vont de station en station, on saura bientôt partout en Antarctique que l'inauguration de la Station Belge valait la peine d'y participer!


Annick Wilmotte


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