lundi 16 février 2009

Samedi 7 février 2009 - Annick Wilmotte

Samedi, nous partons donc à 9H tapantes avec 5 collègues japonais vers Ketelerbreen. Benoit et René nous accompagnent en tant que guides. Il fait gris, et en fait, le soleil ne se montrera pas de toute la journée. Ceci souligne le caractère austère et impressionnant de l'endroit. Au fur et à mesure de notre progression, je vois se détacher sur le ciel un haut rocher qui me rappelle un chateau-fort défendant l'entrée d'une vallée. C'est à son pied que nous nous arrêterons, un énorme massif de granit. Les noms donnés à cet endroit sont 'le rhinocéros' ou 'la pince de crabe' car il y a deux pics effilés au sommet. Nous marchons dans une moraine puis commençons à monter entre les gros blocs. Les japonais nous disent de faire attention car il y a des nids de pétrels dans ces amas de rochers et il ne faut pas les effaroucher. Je suppose que Jeroen mettra une photo sur le blog car il a réussi à photographier aussi bien un jeune pétrel qu'un adulte. J'admire la ligne élégante de ces oiseaux tout blancs! Il y en avait aussi sur l'île de Livingston, mon premier voyage en Antarctique avec le projet espagnol LIMNOPOLAR. Sous beaucoup de gros rochers, mesurant plusieurs mètre de hauteur et circonférence, il y a de l'eau gelée. Or, sous certains, les japonais montrent que cette eau a une couleur jaune.
De plus, si on casse des éclats de glace, on voit distinctement qu'il y a plusieurs couches plus ou moins foncées.

Un peu plus haut, un japonais montre à Jeroen 'le lac noir', un étang plutôt mais où la substance jaune est fort concentrée. Les hypothèses les plus folles sont avancées et notre espoir va vers celle selon laquelle il s'agirait de diatomées. Ce sont des algues unicellulaires de couleur dorée. Jusqu'à présent, il ne semblait pas y en avoir dans les environs d'Utsteinen. Malheureusement, le soir même, l'observation au microscope d'un échantillon ne permettra pas d'observer d'algues, mais bien une coloration uniforme. Nous essayerons de faire des analyses en rentrant en Belgique, pour comprendre de quoi il s'agit. D'autre part, Karolien remarque des organismes bien verts en assez grande quantité, à la base d'un grand rocher, mais encore prises dans l'eau gelée. Avec un piolet, il est possible de les dégager en partie et de prendre des échantillons. Etant donné que c'est gelé et coupé en morceaux, il est difficile de dire ce que c'est mais cela me rappelle plutôt une algue verte en forme de lame mince.

Damien en avait trouvé à Usteinen sous les nids de pétrels et pensait que c'était lié à l'enrichissement organique par le guano. Cela serait une explication logique ici, vu qu'il y a des pétrels. A la surface d'un autre rocher, des traces vertes attirent mon attention. En détachant des pellicules de granit, je vois enfin des algues cryptoendolithiques sous ces éclats. Le mot crypto veut dire 'caché', endo veut dire 'dans', et lithique indique 'la roche'. En effet, ces communautés vivent cachées dans la roche, à quelques millimètres sous la surface. Il y a quand même suffisamment de lumière qui traverse les grains de quartz et cristaux clairs, la neige fondue procure l'humidité, et elles sont protégées des rayonnements UV et des vents catabatiques par leur corset de pierre.

Dans les vallées sêches de Mc Murdo, un site d'études à long terme des chercheurs américains, ces communautés cryptoendolithiques ont été décrites par un collègue récemment décédé, Imre Friedmann. Là-bas, elles sont constituées par une cyano unicellulaire, Chroococcidiopsis. Cette cyano a aussi été retrouvée dans des déserts chauds, et montre une grande résistance à la dessication et aux rayonnements. Imre la proposait comme candidate possible pour le 'Terra forming', c'est à dire l'établissement d'organismes sur Mars dans le but de transformer cette planète, par leur activité biologique, en un lieu compatible avec l'établissement de colonies humaines. En fait, pour le moment, les chercheurs font tout leur possible pour minimiser la contamination possible de Mars par des microbes ver lenus de la Terre sur des engins d'exploration. En effet, si on veut savoir s'il y a de la vie sur Mars, il faut éviter d'en introduire soi-même. Quant au 'Terra forming', il me semble qu'il vaudrait mieux faire du 'Terra respecting' sur notre planète actuelle plutôt qu'aller exporter nos problèmes. Bon, disons toujours que le soir, dans l'échantillon observé, j'ai vu grâce au microscope qu'il s'agissait d'algues vertes unicellulaires, et non pas la cyano trouvée à l'autre bout du continent par Imre. Il sera intéressant de voir si c'est toujours la même et s'il y a des mélanges avec d'autres organismes. Pendant ce temps, Sébastien et Thomas filment et enregistrent un peu partout, déplaçant leur matériel dans les rochers, ce qui n'est pas facile.

Nous redescendons vers les skidoo pour manger nos tartines. Je demande aux collègues japonais quel âge a ce massif? Les granits clairs ont 500.000 ans. Il y a aussi des veines de granit plus foncé (tonlite en anglais?) qui a 900.000 ans. Il contient proportionnellement plus de cristaux noirs que le premier.

Les géologues japonais retournent à la Station et nous continuons à nous promener dans cet endroit impressionnant. Encore des mousses et des communautés cryptoendolithiques! Et cela avec une couche de neige encore imposante. Qu'aurions pu nous voir si les conditions météorologiques avaient été meilleures?
Au retour, Sébastien et Thomas prennent de l'avance pour pouvoir nous filmer quand nous passons devant la caméra, genre 'la chevauchée fantastique'.
Après de telles journées, une douche est bienvenue. A la Station, c'est plus simple: on remplit deux bassins d'eau chaude et on se lave dans une des 4 cabines, soit en se tenant dans un grand bassin et s'aspergeant avec l'autre, soit comme à un évier. Je réussis à me laver les cheveux dans les petits bassins, sans tout mouiller.

Annick Wilmotte

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